[BG] L'arrivée de Nolofinwë en Saângraliath

L’histoire que je vais vous conter débute il y a une vingtaine d’années. On était mi-septembre et déjà l’hiver avait étalé son blanc manteau. Une couche de neige épaisse, un froid vif et une bise violente avaient eu raison de la volonté des hommes qui avaient trouvé refuge dans leurs demeures.

C’était donc un grand calme qui régnait dans la montagne. Tout être vivant semblait avoir cessé de vivre… enfin presque. Sur une de ses petites routes sinueuses qui courent sur les montagnes, un homme marchait, suivi par un cheval qui tirait difficilement une charrette. Frère Léolor, puisque c’est son nom, rentrait de la capitale où il avait vendu quelques potions et soins et acheté quelques provisions. Il était vêtu d’un épais manteau de bure, chaussé de solides bottes de cuir dans lesquelles il avait pris soin de mettre de la paille. Le frère tenait solidement son bâton de prêtre de la main droite tandis que de la gauche il guidait l’équipage.

Frère Léolor faisait partie des prêtres de monastère Saângraliath. Le domaine avait été offert par l’empereur, sans doute trop content de se débarrasser de terres aussi peu hospitalières et surtout aussi pauvre. Les prêtres, dévoués au culte de Seluné, y avaient construit un refuge où ils honoraient la Dame d’argent, déesse de la lune et des étoiles. Les prêtres vivaient de la fabrication de potions et d’élixirs, apportaient des soins aux miséreux des environs et, moyennant finance, guidaient les voyageurs au travers des sinistres montagnes de Saângraliath.

Le frère faisait donc route vers le monastère, marchant lentement du fait de la neige. Il apercevait au loin la forêt d’argent. Il estima le temps de marche. Une heure pour rejoindre le bois, qu’il contournerait par la droite car il y aurait peut-être moins de neige à la lisière de la forêt de bouleau, une heure de marche de plus. Puis il arriverait à la bifurcation et prendrait à droite pour rejoindre le hameau et le monastère, deux heures… Quatre heures de marche.
Une heure plus tard, il arrivait au coin du bois et décida de s’accorder une pose afin que lui et sa monture puissent souffler. Il sortit une pipe et se mit à fumer, savourant le parfum du tabac en écoutant le sifflement du vent. Il aimait le sifflement du vent dans les arbres, le bruissement de la neige qui se déplace au gré du vent, les gémissements des arbres… gémissements ? Non, des pleurs ! Son esprit engourdit par le froid mit une minute à réaliser que les arbres ne gémissent pas… Et encore moins ne pleurent. Y avait-il quelqu’un dehors par ce temps ? Si tel était le cas, il se devait de l’aider !
Le prêtre chercha à l’orée du bois, lorsqu’il ressentit quelque chose d’étrange. Il ressentait le bien et le chaos… les deux confondus. Il leva son bâton près à frapper l’ennemi, tout en avançant vers l’origine des pleurs. Il s’arrêta devant un vieux bouleau. Là, au pied de l’arbre, était posée une boule de linge d’où semblaient émaner les cris. Les sens du prêtre semblaient désorientés, le chaos, le bien, le bien, chaos. Prudemment, le bâton toujours levé, il écarta les linges. Ce qu’il découvrit le laissa sans voix.

Un bébé. Un bébé qui devait avoir quelques jours. Le prêtre le prit dans ses bras, observa autour de lui à la recherche de la mère. Ils étaient seuls. Le prêtre retourna à sa carriole, trouva du lait, bricola un biberon et nourrit l’enfant. Ceci fait, il installa le bébé dans un panier de choux et le couvrit d’une couverture afin qu’il n’ait pas froid. Le frère ne trouva nul trace de passage, sans doute effacé par la neige. Il reprit donc sa route, marchant le plus rapidement possible afin de mettre l’enfant à l’abri et d’élucider cette sensation qu’il avait ressentie.
Deux heures et demie plus tard, il arriva en vue du monastère. Les bâtiments gris et sinistres dominaient la vallée encaissée dans laquelle on pouvait apercevoir les cheminées fumantes du hameau de Saângraliath.

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Le prêtre conta son aventure au frère supérieur, réunis auprès du feu. Les deux frères regardèrent l’enfant, tous deux ressentait la même sensation. Le bien et le mal semblait se confondre dans ce bébé.
Ils découvrirent l’enfant. Une fille. Mais ce n’est point le sexe de l’enfant qui les préoccupa, les étranges tatouages dont la peau de l’enfant était ornée. L’un d’entre eux retint particulièrement leur attention, c’était une sorte de frise qui barrait le front du bébé. Ils y regardèrent de plus près et purent constater que le motif qui paraissait décoratif au premier regard, étaient en fait composé de tous petits caractères.

Les frères rhabillèrent l’enfant et prirent la direction de la bibliothèque, traversant l’atelier où les frères travaillaient à l’enluminure de précieux ouvrages. Ils s’approchèrent d’un des frères érudits et lui chuchotèrent quelques mots à l’oreille. Le frère posa sa plume, ôta ses lunettes, regarda le paquet que Léo portait, se leva et pénétra avec les autres dans la bibliothèque.
Une douce odeur de vieux livres, d’encre et cuir planaient dans la pièce où dormait un grand nombre d’ouvrages. Il était même surprenant de voir autant de livres dans un lieu aussi retiré et éloigné de tout comme l’était ce monastère.
Les frères cherchèrent, durant de longues heures, les ouvrages traitant de ce langage, d’une prophétie concernant une enfant dont émanerait le bien et le mal. Les recherches furent hélas infructueuses. Ils se regardèrent sans dire un mot, le frère supérieur hocha la tête. Tandis que le frère bibliothécaire rangeait les ouvrages, ses deux compagnons décidèrent d’aller voir le Sage.

La nuit était tombée, ils traversèrent le cloître d’un pas rapide et entrèrent dans la pièce où officiait le sage. Le sage était un frère reconnu pour la qualité, tant par la justesse que la clarté, des visions qu’il avait des messages que la déesse faisait parvenir aux prêtres de son culte.
Le Sage-Frère Haros avait mené durant de longues années la chasse au culte de Sahrr, allant jusqu’à se mettre au service des Épées de la Dame. Son fanatisme et sa fougue l’avaient amené à participer à bien des guerres, bien des aventures jusqu’à ce que l’une d’elle lui ses yeux. Condamné à vivre dans l’obscurité jusqu’à son dernier souffle, Haros avait commencé à ressentir des choses, avoir des visions, recevoir des ondes divines.

Haros semblait les attendre, assis à une table, le visage impassible comme figé dans le marbre. Les prêtres expliquèrent la situation au sage, puis déposèrent l’enfant sur la table.
Haros se leva péniblement, s’appuyant sur la table pour s’aider. Puis gardant une main sur la table pour se soutenir, il porta sa main droite au-dessus du bébé. Son visage était toujours aussi impassible sa main tremblait légèrement. Ses compagnons le regardaient faire à la fois inquiets et impatients, son visage se crispa, il fit une grimace, sa respiration s’accéléra, son corps fut pris de tremblements, puis il retira sa main d’un geste rapide et se laissa tomber dans sa chaise comme s‘il avait reçu un choc. Ses compagnons le regardaient inquiet.

- Alors ?

Haros mit sa main sur sa tempe comme s’il souffrait d’un mal de tête.

- Notre déesse est tourmentée par cette enfant ! Elle ne donne aucun signe, elle la protège… Où plutôt essaie de la protéger ! Malgré son jeune âge, quelqu’un cherche à lui nuire !

Les frères buvaient ses paroles.

- J’ai vu un homme sombre, une femme pure… deux magies !
- Sharr… L’homme sombre est au service de Sharr ?
- Je ne saurai le dire ! … C’était… trop… trop… floue !

Les deux frères comprirent qu’il n’était nul besoin de tourmenter le sage plus longtemps. Il avait vu ce que la déesse désirait leurs montrer. Ils se retirèrent en silence emportant l’enfant avec eux.

Le monastère ayant toujours eu un rôle d’orphelinat, on savait fort bien s’y occuper des enfants. Les frères et sœurs de Saângraliath prirent grand soin de l’enfant tout en gardant secrète les visions du sage. A cet effet, ils limitèrent également le nombre de personnes qui s’occupaient de l’enfant ; car s’ils ignoraient la signification de ces étranges tatouages, ils la distinguaient trop des autres.

Ce n’est quelques jours plus tard, par un soir pluvieux et froid qu’une troupe de cavalier en arme s’approcha du monastère. Ils étaient une vingtaine, des hommes de guerre vêtus de cuirasse et armés de lances.
Celui qui semblait être leur chef s’approcha de la porte et la martela de son poing ganté de fer. Quelques minutes plus tard, le frère Léo entrouvrît la porte, regarda l’homme en arme, puis ceux qui se tenaient derrière lui.

- Bonsoir, prêtre ! N’auriez vous point vu, toi ou l’un des tiens, une jeune femme d’une grande beauté aux cheveux de neige portant un bébé au front tatoué ?

C’est à cet instant précis que le prêtre ressentit la présence de Sélune. Elle lui parlait, elle le prévenait d’un danger. Il ne sut jamais comment elle le lui dit, ni pourquoi il répondit ceci aux hommes en armes.

- Bonsoir ! Sélune n’en est témoin, je ne puis hélas vous venir en aide ! Les temps sont trop rudes, nous ne sortons guère et les seules enfants qui vivent entre nos murs sont ceux du village !

- Fort bien, fort bien ! Dit le soldat qui visiblement ne souhaitait pas s’attarder. Sachez que mon maître paiera cinq cent mille pépites pour toutes informations sur la femme… et un million pour l’enfant ! Notre campement est dans la vallée d’Hystria à 30 lieux de là, si tu as des informations dépêche-nous un messager sans attendre ! Adieu !

- Adieu ! Dit le frère avant de refermer la porte.

Cette nuit là, le conseil se réunit enfin de s’accorder sur la place de cet enfant dans la communauté. La nuit était glaciale, le ciel transparent et les étoiles brillaient de mille feux. Un à un ou par petits groupes, silencieusement, les membres entrèrent dans la salle du conseil.

Comme la plupart des salles du monastère, elle était austère, sans la moindre décoration. Une cheminée de chaque coté de la pièce donnait un peu de vie et de chaleur. Une massive table de chêne autour de laquelle étaient disposé des chaises constituait le seul mobilier de la pièce. Les frères parlaient entre eux en murmurant, de la vie de la communauté, des progrès de leurs recherches et leurs études. Quelques minutes s’écoulèrent, puis le frère supérieur frappa deux fois dans ses mains et dans un mouvement, sans le moindre désordre chaque frère prit sa place autour de la table.

Le calme revenu, les frères commencèrent à débattre de la place de l’enfant. Débat qui tourna court puisque les frères avaient toujours eu pour devoir de protéger les faibles et de se garder du mal. Il n’en fut pas de même lorsqu’il fallut décider s’il importait de connaître les origines de l’enfant et de savoir qui s’acquitterait de cette tâche. La venue des hommes en armes cherchant la mère et l’enfant laissait penser qu’elle était de noble naissance et qu’il fallait bien mesurer ses actions avant de les entreprendre.

Ce ne fut qu’à l’aube que la décision fut prise de ne point entreprendre de grandes recherches. Il serait donc mener quelques discrètes enquêtes, ne serait ce que pour connaître les origines de l’enfant et la signification de ces étranges tatouages, sans faire courir de risque à la communauté. Il appartiendrait à l’enfant de chercher d’où vient le sang qui coule dans ses veines, si la quête se révélait trop ardus pour les prêtres.

Les hommes en armes sillonnèrent les routes durant plusieurs mois, à la recherche d’informations. La mère et l’enfant semblaient avoir disparus. Les prêtres n’apprirent que bien peu de choses, les soldats étaient peu avenants et semblaient souhaiter garder sous silence le nom de leur maître.